L’industrie touristique anticipe la levée du blocus

L’industrie touristique va-t-elle être la première à sortir Cuba du marasme alors que son économie a connu une croissance faible de 1,3% de son PIB en 2014 ? Sur plusieurs sites touristiques, les chantiers se multiplient et les grues prolifèrent. L’ambition est claire: 40’000 chambres d’hôtel supplémentaires d’ici à 2020 et 80’000 d’ici à 2030. Le processus pourrait même s’accélérer. Jeudi, Américains et Cubains entamaient leur troisième round de négociations axé sur la nécessité de rétablir rapidement leurs ambassades respectives à Washington et à La Havane.

Pour l’heure, Cuba compte 67’000 chambres. Très insuffisant pour accueillir les futures hordes de touristes. En collaboration avec la société cubaine Gaviota, la multinationale française Bouygues mise sur la construction d’hôtels de luxe représentant quelque 15’000 chambres. La Vieille Havane va bientôt accueillir trois grands palaces, le Kempinski, l’Iberostar et le Sofitel So. Sur l’ile de Cayo Coco, au large de la côte septentrionale de Cuba, la chaine Accor va ouvrir en novembre un nouvel hôtel, le Pullman Cayo Coco, doté de 518 chambres dont 40 suites, toutes équipées du wifi, une première à Cuba. Septante-cinq avocats américains seraient prêts à demander une autorisation spéciale pour séjourner dès l’ouverture dans l’hôtel Pullman. Or actuellement, l’embargo américain ne permet les voyages de citoyens des États-Unis à Cuba que dans le cadre d’activités académiques, culturelles, journalistiques ou encore sportives.

Ce boom de l’industrie touristique se reflète aussi du côté des tour-opérateurs. Lors de la récente foire internationale du tourisme de La Havane, 120 agents de voyages américains invités par le gouvernement cubain ont manifesté leur vif intérêt à contribuer à leur manière à l’ouverture du pays. Les effets sont déjà perceptibles. Airbnb, la plateforme américaine de locations d’appartements, a déjà mis la main sur 1’500 (20%) des 7’000 chambres et casas particulares (gites chez l’habitant) que compte Cuba. À La Havane, le prix de certaines chambres a bondi de 35 à 75 dollars la nuit. Dans son hôtel Sevilla au cœur de la Vieille Havane, qui reçut à l’époque Joséphine Baker, Al Capone ou Heming­way, Eric Peyre, délégué de la chaine Accor à Cuba, souligne ­que l’hôtellerie de luxe a le vent en poupe, mais elle n’est pas la seule : «Nous avons aussi pour objectif de développer des hôtels Ibis de la classe économique, soit 1’000 chambres en deux ans, l’équivalent de dix hôtels. Dans trente ans, ce seront 30 hôtels. La courbe des constructions est exponentielle.»

Pour l’heure, trois millions de visiteurs se rendent chaque année sur l’ile des Caraïbes, soit un million de Canadiens, un demi-million d’Américains (surtout des Cubano-Américains de Miami), un million d’Européens et d’autres régions du globe. Si Washington devait libéraliser les voyages à Cuba pour ses citoyens, ces chiffres pourraient décupler. Selon Eric Peyre, il y a des signaux qui ne trompent pas. Les marinas (petits ports de plaisance) connaissent un essor considérable. À Varadero, 1’200 nœuds sont déjà prévus pour l’amarrage de bateaux privés. Des embarcations qui devraient naturellement venir avant tout des États-Unis, distants de moins de 150 kilomètres. Le rétablissement de ferrys de 300 personnes, puis de 1’000 avec voitures cette année encore entre la Floride et Cuba, va accentuer la tendance.

Le boom immobilier de l’industrie hôtelière devra toutefois s’accompagner d’une amélioration substantielle des infrastructures. Cuba recense dix aéroports capables d’accueillir des charters privés américains. Mais, pour accueillir des masses de touristes, ils devront être profondément modernisés. Le réseau aérien intérieur est très lacunaire. Les grandes compagnies aériennes sont contraintes d’atterrir à La Havane. Eric Peyre ajoute: «À Cuba, la main-d’œuvre est excellente. Mais avec le développement de nombreux hôtels, notamment dans le luxe, la formation sera essentielle. Avec l’ouverture, des écoles hôtelières américaines et peut-être européennes pourraient s’installer à Cuba.» Une question demeure toutefois : dans quelle mesure la majorité des Cubains va-t-elle profiter de ce nouvel élan?

Le tourisme n’est pas le seul secteur qui intéresse les autorités cubaines. Au port de Mariel, à 45 kilomètres de La Havane, celles-ci espèrent attirer les investisseurs après avoir établi une zone économique spéciale de 465 km². Le Brésil a déjà fortement investi dans son développement. Mariel veut s’afficher comme le plus grand port des Caraïbes, traiter près d’un million de conteneurs par an et profiter de l’extension bientôt achevée du canal de Panama. L’armateur français CMA CGM vient de conclure un accord de gestion d’une plateforme logistique, le premier du genre à Cuba. Malgré les facilités administratives permises par une zone franche et une nouvelle loi cubaine sur les investissements étrangers, les investisseurs étrangers restent pour l’instant timides. Mais la fin du blocus américain pourrait changer la donne.

Source : LeTemps.ch  Stéphane Bussard

Publié dans Actuel, Blocus, Cuba

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