« 100 heures avec Fidel Castro »



Ignacio Ramonet, directeur du Monde diplomatique, auteur de Biographie à deux voix, livre qui reprend la série d’entretiens réalisés avec le Chef de l’Etat cubain, Fidel Castro, vient de présenter ici l’édition cubaine, conforme à l’édition espagnole de l’ouvrage. Conversation exclusive avec le service des émissions en français de RHC.







Chroniques spéciales
100 heures avec Fidel d’Ignacio Ramonet :
le privilège de l’honnêteté


RHC : Il y a eu une levée de bouclier contre vous lorsque vous êtes venus à la Foire du Livre. Fidel Castro a fait l’éloge de votre ouvrage, vous n’avez pas peur des résultats ?


Ignacio Ramonet : Comme j’ai eu l’expérience de la fois dernière, et parce que j’ai trouvé cela tellement injuste, car il y a eu une espèce de campagne d’hostilité sur des bases assez médiocres, à la limite, c’est l’une des motivations de faire ce livre. Je me suis dit, d’accord, puisque l’on m’a critiqué parce je n’ai pas eu assez de recul, maintenant, je fais carrément une conversation avec Fidel Castro et je crois que toutes les questions que tout le monde se pose sont présentes. Il va y avoir des critiques, c’est évident, mais je continue à penser que le devoir d’un journaliste, c’est effectivement d’aller à contre courant là où il se trouve. Il est possible qu’à Cuba, le rôle des journalistes soit de critiquer ou de réfléchir à la situation qui est faite, dans le contexte qui est le mien, celui de l’Europe, je considère qu’il y a une véritable censure sur les propos de Fidel Castro et qu’il est une des personnalités qui a le moins souvent la possibilité de s’exprimer dans les médias européens. C’est un livre dont l’objectif est de retracer tout un itinéraire et de répondre à la question qui est Fidel Castro, c’est la question qui est en dessous. Je crois que ceux qui critiquent systématiquement Cuba vont continuer de le faire, ceux qui défendent systématiquement Cuba vont continuer à le faire, le livre s’intéresse plus directement à ceux qui voudraient se faire de bonne foi par eux-mêmes une idée de qui est Fidel Castro, de ce qu’est la Révolution.


Dans la présentation du livre, Fidel Castro lui-même a dit que je défends des positions qui ne sont pas celles de la Révolution cubaine, il a averti le lecteur cubain, ils vont se trouver face à une conversation qui n’est pas une conversation de complaisance. Il y a cette dimension dans ce livre, un certain nombre de questions critiques sont présentes.


RHC : Vous exercez votre métier d’abord en France, pourquoi ce livre paraît-il d’abord en espagnol…


Ignacio Ramonet : C’est un éditeur espagnol qui a montré le plus d’intérêt. C’est mon éditeur traditionnel en Espagne. De plus, Fidel Castro est un dirigeant hispanique, il y a en Espagne plus de débat ouvert sur la Révolution cubaine et sur Fidel Castro qu’en France aujourd’hui et donc il va y avoir une édition française. Il faut traduire, donc il était plus simple que cela paraisse en espagnol.


RHC : Pourquoi insistez-vous tant sur le fait que les jeunes lisent le livre ?


Ignacio Ramonet : Je suis très lié au mouvement d’altermondialisation, je fais partie de ceux qui ont essayé de lancer le Forum Social Mondial, je fais partie de l’idée initiale d’ATTAC, tout ce mouvement qui est très ouvert dans la critique contre la globalisation est, en même temps, très critique contre Cuba sur le principe parce qu’il y a une pression médiatique très forte. Le réflexe immédiat de beaucoup de jeunes qui sont proches de ce qui se passe en Amérique latine, du mouvement social brésilien, de la révolution bolivarienne au Venezuela, des indigénistes en Bolivie. Quand on parle de Cuba, ce n’est pas la même chose, c’est tout de suite une dictature, la répression, ce sont les images qui sont véhiculées. Il me semblait qu’il y avait là une injustice à l’égard de Cuba.


D’ailleurs, il y a une certaine contradiction à admirer la révolution bolivarienne et à ne pas voir que, pour Chavez, Fidel Castro est une référence permanente; pour Evo Morales, c’est la même chose, même pour Lula qui n’a jamais pris de distances officielles à l’égard de Cuba, au contraire qui s’y est référé.


Donc mon intention était de traverser ce que j’appelle la muraille de la haine. Il est possible qu’il y ait des critiques à faire à Cuba, mais ces critiques aussi systématiques aussi négatives m’ont toujours paru excessives, en tout cas, non rationnelles ou irrationnelles.


Je crois que c’est important pour que des nouvelles générations transmettent le relais, pour qu’elles puissent réfléchir sur cet itinéraire, qu’elles aient la connaissance rafraîchie avec le regard d’aujourd’hui sur la Révolution cubaine. On ne peut pas comprendre ce qui se passe en ce moment en Amérique latine, alors que pour la première fois dans l’histoire des deux siècles de l’Amérique latine, il y a eu le mouvement social, la montée de la gauche, le mouvement critique qu’il y a en ce moment. C’est inédit, on ne peut pas le comprendre si on ne fait pas la connexion avec ce qu’est la Révolution cubaine, ce qu’a représenté la Révolution, le désir de libération de Cuba.


Bien sûr, Cuba a son histoire, la Révolution s’est produite à une époque précise, la guerre froide, ce n’est pas le cas aujourd’hui, tant mieux, c’est nécessaire pour quelqu’un qui veut comprendre ce qui se passe en Amérique latine qui est le continent qui bouge le plus dans le sens de la critique de la globalisation. Je pense que c’est important de réanalyser ce qu’a été la Révolution cubaine avec ses ombres et ses lumières.


RHC : Vous le conseillez aussi aux jeunes Cubains…


Ignacio Ramonet : Je leur conseille pour plusieurs raisons, d’abord parce que je ne suis pas sûr qu’ils aient, en particulier la génération qui est née dans les années qui ont précédé la chute de l’Union soviétique, je ne suis pas sûr qu’ils connaissent bien Fidel Castro, il n’y a pas eu de livre récent sur lui. Je ne suis pas sûr non plus qu’ils aient les éléments pour réfléchir aux grandes critiques qui sont faites à Cuba, à la Révolution cubaine ou à Fidel Castro lui-même parce que peut-être, ils les ignorent, ou parce qu’ils pensent que ce sont des choses taboues. Je crois qu’ils vont découvrir que ces questions sont abordées là et donc se faire une idée sur ce débat.


RHC : Que représente ce livre pour le grand journaliste qu’est Ignacio Ramonet ?


Ignacio Ramonet : Pour les journalistes qui s’intéressent à la politique internationale, interviewer Fidel Castro est effectivement un objectif, avoir la possibilité de discuter avec quelqu’un qui a été un acteur et un témoin de 55 ans d’histoire – puisque la Moncada est le début de la vie publique de Fidel Castro – avoir la possibilité d’échanger avec lui sur la manière dont s’est passée la crise d’Octobre, ses relations avec Kennedy, l’expérience avec Che Guevara ou même l’entrée des tanks du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie, en 1968, ses relations avec Brejnev, avec l’Union soviétique… c’est évidemment un moment extraordinaire pour un journaliste. Il a la possibilité de discuter avec un des acteurs de l’histoire, cela a un intérêt intellectuel. L’intérêt professionnel, c’est d’essayer de transmettre cette parole, ces propos de manière à ce que d’autres puissent vivre ce moment intellectuel.


Je crois que, effectivement, on n’a pas l’occasion d’interviewer tous les jours quelqu’un comme Fidel Castro, même à l’échelle latino-américaine. Il n’y a aujourd’hui dans la vie politique internationale et dans la vie active internationale, plus personne qui ait les caractéristiques de Fidel Castro. On a pu interviewer De Gaulle, Kennedy ou Nixon, il reste Kissinger qui a écrit ses mémoires longuement, mais Fidel n’a pas écrit ses mémoires, c’est cela aussi qui justifie aussi le livre.


RHC : L’effet qu’a fait le livre ici vous confirme-t-il ce que vous dîtes dans l’introduction sur l’après Fidel et sur l’appui dont jouit la Révolution cubaine ?


Ignacio Ramonet : Ce que je trouve, c’est que cela me paraît courageux que le livre circule tel qu’il est. Certains pouvaient imaginer qu’à Cuba, pour un public interne, il ne fallait pas les aborder. Cela prouve que c’est différent.


Je crois aussi qu’il y a tout un chapitre qui est long et qui est « après Fidel, quoi ? », dans lequel Fidel lui-même réfléchit sur ce qui va se passer, ce qui s’est passé ailleurs. J’utilise l’expérience historique pour dire : « Regardez ce qui s’est passé en Union soviétique, en Yougoslavie ou même le socialisme chinois, il n’en reste plus rien. Que deviennent ces socialismes quand les fondateurs disparaissent ? On parle même de dirigeants socialistes qui ont fait des génocides comme Pol Pot. C’est tout à fait intéressant d’accompagner sa réflexion là-dessus. Il est évident qu’il y a réfléchi aussi et il apporte des réponses qui, à mon avis, sont assez originales. »
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Propos recueillis par Marie-Dominique Bertuccioli

Publié dans Culture

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