États-Unis / Cuba : retour à une politique de confrontation

La Maison-Blanche a annoncé un retour à une politique hostile vis-à-vis de Cuba, suscitant l’incompréhension au sein de l’opinion publique étasunienne.

Un article de Salim Lamrani / Témoignages.re

Le 16 juin 2017, au théâtre Manuel Artime de Miami, le Président des États-Unis a annoncé un changement de la politique étrangère vis-à-vis de Cuba. Sous les yeux de l’assistance, composée entre autres de vétérans de la Baie des Cochons auxquels il a rendu hommage, Donald Trump a prononcé un discours d’une hostilité sans précédent. Ressassant une rhétorique de la Guerre froide, il laisse présager un avenir sombre pour les relations bilatérales entre les deux pays [1]. (Voir « Une rhétorique de la Guerre Froide – Article de Salim Lamrani » dans Témoignages du 29 juin 2017)

James Williams, de la coalition Engage Cuba qui regroupe des entreprises étasuniennes favorables à la levée des sanctions, a déploré les mesures adoptées par Donald Trump. « L’ouverture du commerce avec Cuba a permis à des hommes d’affaires américains d’intégrer un marché en pleine croissance à 90 miles de nos côtes et de créer des emplois à travers les  États-Unis », a-t-il souligné. Cela nuit aux intérêts des États-Unis : « Etant donné les caractéristiques de l’économie cubaine, les nouvelles restrictions imposées aux entreprises américaines sont susceptibles d’entraver ce progrès, ce qui pourrait coûter des milliards de dollars à l’économie américaine et affecter des milliers d’emplois [2] ».

Le monde des affaires a exprimé son inquiétude. Zippy Duval, Président d’un groupement d’intérêts agricoles dénommé American Farm Bureau, a fait part de son point de vue : « Alors que nous faisons face à la plus importante chute des prix des matières premières alimentaires depuis des décennies, nous devons ouvrir des marchés pour les produits agricoles américains, et non pas envoyer des signaux qui ferment des débouchés [3] ».

Les instances religieuses ont également condamné le retour à une politique de confrontation. La Conférence américaine des évêques catholiques a exprimé son opposition en rappelant que « les droits de l’homme et les libertés religieuses seront renforcés par plus d’engagement entre les peuples américain et cubain, et non pas moins ». L’Alliance des baptistes a partagé le même point de vue : « En tant que croyants, nous exprimons notre désaccord avec la nouvelle politique et restons engagés avec nos partenaires à Cuba. Nous réaffirmons notre soutien aux sollicitations adressées au Congrès pour mettre un terme à toutes les restrictions oppressives de commerce et de voyage [4] ».

L’Organisation mondiale du tourisme a fait part de son « ressentiment ferme » à l’égard de la nouvelle approche étasunienne : « Cela constitue un retour en arrière et une atteinte importante à la liberté de voyager ». L’entité a souligné le caractère contreproductif de ces mesures : « Cette décision aura un impact limité sur le développement du tourisme à Cuba, mais elle affectera de manière substantielle l’économie américaine et ses emplois. De nombreuses entreprises ont commencé à réaliser des investissements à Cuba et à faire des affaires au vu du potentiel immense du tourisme cubain, dont continueront certainement à profiter les autres pays [5] ».

Le New York Times a également fustigé la nouvelle politique de Donald Trump dans un éditorial intitulé « Un revirement cynique sur Cuba ». « Les Américains qui souhaitent passer des vacances à Cuba ou y faire des affaires verront les choses se compliquer en raison de la malencontreuse décision du Président Trump de mettre un terme à une ouverture diplomatique de deux ans avec l’ile », note le quotidien newyorkais. Les raisons évoquées par la Maison-Blanche n’ont pas convaincu la presse étasunienne : « L’intérêt soudain de M. Trump pour les droits de l’homme est particulièrement difficile à avaler. Aucun Président récent n’a autant méprisé ces droits ou embrassé avec tant de passion des régimes autoritaires qui maltraitent leurs peuples [6] ».

Les nouvelles mesures vont également à l’encontre de l’opinion publique étasunienne, qui est favorable dans sa grande majorité à une normalisation des relations avec Cuba. Selon un sondage réalisé par le Pew Research Center en décembre 2016, 75 % des citoyens étasuniens souhaitent le maintien des relations avec Cuba et 73 % d’entre eux veulent la fin des sanctions économiques. En effet, ils ne comprennent pas pourquoi Cuba est le seul pays au monde qu’ils ne peuvent pas visiter en tant que touristes ordinaires. Les Cubains-américains sont également favorables à la construction de relations cordiales et apaisées avec La Havane [7].

L’établissement d’une politique de dialogue par le Président Obama a eu un impact positif dans le rapprochement entre les deux peuples. En 2016, 284’000 citoyens étasuniens ont visité Cuba, ce qui représentait une hausse de 74 % par rapport à 2015. Pour l’année 2017, pour la seule période de janvier à mai, près de 285’000 se sont rendus à Cuba, soit une hausse de 145 % par rapport à 2016, dans le cadre de l’une des douze catégories permises par Washington (voyage éducationnel, culturel, scientifique, professionnel, religieux, etc.) [8].

La communauté internationale est également opposée à toute politique de sanctions à l’égard de Cuba. En octobre 2016, pour la 25e année consécutive, 191 pays de l’Assemblée générale des Nations unies sur 193 ont condamné le maintien d’un état de siège économique, commercial et financier contre La Havane [9].

(à suivre)

Salim Lamrani

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son nouvel ouvrage s’intitule Fidel Castro, héros des déshérités, Paris, Editions Estrella, 2016. Préface d’Ignacio Ramonet.

Contact : lamranisalim@yahoo.fr ; Salim. Lamrani@univ-reunion.fr

Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel

[1Donald Trump, « Remarks by President Trump on the Policy of the United States Towards Cuba », 16 juin 2017. https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2017/06/16/remarks-president-trump-policy-united-states-towards-cuba (site consulté le 22 juin 2017).

[2James Williams, « Engage Cuba Statement on President Trump’s Cuba Directive », Engage Cuba, 16 juin 2017. https://www.engagecuba.org/press-releases/2017/6/16/engage-cuba-statement-on-trumps-cuba-directive (site consulté le 22 juin 2017).

[3Sofia Lotto Persio, « New U.S. Cuba Policy Is Unpopular, Just Like President Trump », Newsweek, 21 juin 2017.

[4Ibid.

[5Ibid.

[6The New York Times, « A Cynical Reversal on Cuba », 16 juin 2017.

[7Alec Tyson, « Americans Still Favor Ties With Cuba After Castro’s Death, U.S. Election », Pew Research Center, 13 décembre 2016. http://www.pewresearch.org/fact-tank/2016/12/13/americans-still-favor-ties-with-cuba-after-castros-death-u-s-election/ (site consulté le 24 juin 2017).

[8Telesur, « Incrementa 145 % los visitantes de EE. UU. a Cuba en 2017 », 14 juin 2017.http://www.telesurtv.net/news/Incrementa-145—los-visitantes-de-EE. UU.-a-Cuba-en-2017-20170614-0053.html (site consulté le 24 juin 2017).

[9Nations unies, « ONU aprueba resolución contra bloqueo a Cuba sin votos en contra por primera vez en la historia », 26 octobre 2016. http://www.un.org/spanish/News/story.asp? NewsID=36140#. WUwBTWdds_Y (site consulté le 22 juin 2017).

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