Merci Fidel!

Permettez-moi de raconter une anecdote personnelle car elle a marqué ma vie professionnelle. En 1984, alors jeune médecin-assistant en pédiatrie au Nicaragua, j’ai participé au Congrès panaméricain de pédiatrie qui se déroulait cette année-là à La Havane. Cela faisait quatre ans que je vivais en Amérique centrale et je collaborais tous les jours avec des enseignants et des médecins cubains qui n’hésitaient pas à aller dans les recoins les plus reculés du pays pour soigner et alphabétiser, comme binômes indissociables pour améliorer la santé. Sous les recommandations efficaces du Ministère de la santé, avec l’aval de tout le gouvernement, nous luttions tous contre des taux de mortalité infantile qui avoisinaient les 70 pour mille, une dénutrition qui touchait 2 enfants sur 3 et une épidémie de rougeole d’autant plus difficile à contenir que de grandes zones du pays étaient le théâtre d’opérations meurtrières menées par les «contras», groupes paramilitaires armés par les Etats-Unis.

 Arrivés à Cuba un jour en avance, nous avons pu visiter quelques hôpitaux et déambuler dans la ville à notre guise: nous n’arrivions pas à croire ce que nous voyions, tant les hôpitaux étaient beaux, et étions encore plus émerveillés d’observer tous ces enfants sains, dans la rue, habillés et portant des souliers, ce qui contrastait avec notre réalité du Nicaragua d’alors.

 

Le lendemain, à l’inauguration du congrès, Fidel a parlé durant deux heures, avec juste quelques notes écrites, devant un parterre de professionnels de la santé materno-infantile. Ce fut un vrai cours ex-cathedra de santé publique, avec un diagnostic de la situation dans les Amériques et les différentes approches possibles pour résoudre les problèmes. Il pouvait dire fièrement que la mortalité périnatale dans son pays était moindre qu’aux Etats-Unis, malgré le manque de technologie de pointe, et montra combien les déterminants sociaux sont ceux qu’il faut affronter si l’on veut améliorer la santé globale d’un peuple. Ce discours trotte aujourd’hui encore dans ma tête.

 

Bon, me direz-vous, c’était il y a trente-deux ans et Fidel est mort.

 

Depuis, le système de santé de Cuba reste remarquable et la mortalité néonatale est à moins de 3 pour mille enfants nés vivants. La santé primaire y est très développée et l’accès aux soins gratuits est assuré pour tous. Les Cubains vivent vieux et ils sont très bien formés. Et même dans les années les plus dures, après l’effondrement de l’URSS qui était un partenaire commercial essentiel, alors qu’il y manquait de tout, les indices de santé n’ont que très peu varié, preuve indirecte que, malgré tout, le gouvernement a réussi, grâce aussi à l’ingéniosité du peuple cubain, à résister, sans créer des disparités trop grandes.

Depuis aussi, à La Havane, l’Ecole latino-américaine de Médecine (ELAM) accueille près de 20 000 étudiants venant de tous les pays dits du «tiers monde» et plus seulement d’Amérique latine (soit de plus de 110 pays!), ce qui en fait la plus grande école de médecine du monde. C’est un centre de formation reconnu par l’OMS, les étudiants sont choisis pour leur enracinement dans leur communauté d’origine et plus de 80% y retournent pour y travailler à la fin de leur formation. Non seulement la formation est payée par le gouvernement cubain, mais la bourse comprend aussi le logement, la nourriture et ce qui est nécessaire pour la vie de tous les jours (ce qui constitue un effort de solidarité important, quand on connaît le niveau de vie des Cubains). C’est en plus une formation centrée sur la santé primaire et la résolution des problèmes prioritaires des pays les plus pauvres.

 

Depuis, aussi, Cuba a envoyé plus de médecins dans des pays vivant des catastrophes sanitaires que l’ensemble des pays du G8, sans oublier tous les professionnels de santé envoyés en Bolivie ou au Venezuela.

 

Parce qu’il a insufflé cette vision de la santé, parce qu’il a su mettre des ressources humaines qui l’ont développée et concrétisée tout au long de ces années, j’ose dire:

 

Merci Fidel (et tant pis pour les esprits chagrins!)

 

Hasta siempre comandante!

 

Bernard Borel est pédiatre FMH, membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.



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Publié dans Cuba, Suisse

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