Une journée entière de contributions politiques, scientifiques, culturelles, culinaires et de solidarité internationale vécue.
Nous reproduisons ici, à titre d’exemple, l’exposé de Philippe Stroot, membre de la coordination nationale de l’ASC :
Le peuple cubain ne partage pas son surplus, il partage ce qu’il a !
Bonjour à tous,
Si vous êtes ici cet après-midi, c’est que vous vous intéressez à Cuba et que vous êtes déjà bien informés à son sujet. Je ne vais donc pas répéter une fois de plus des choses que vous savez déjà, mais plutôt partager avec vous quelques réflexions que je me suis faites après des dizaines d’années d’études de Cuba, de voyages dans ce pays et de discussions avec des Cubains et des connaisseurs de l’île et de son histoire.
Tout d’abord, je voudrais raconter une anecdote personnelle : j’avais découvert la révolution cubaine un peu par hasard quand j’étais adolescent, en lisant un livre intitulé « La fête cubaine ». Il était écrit, peu de temps après la Révolution, par une journaliste franco-polonaise appelée Ania Francos, qui avait participé de près aux événements. Je me suis passionné pour ce pays au point que quand j’ai passé l’examen d’histoire pour la maturité fédérale j’ai choisi comme sujet libre – après des questions imposées sur l’histoire suisse et l’histoire générale – la Révolution cubaine. Après l’examen, le professeur de l’Université de Neuchâtel qui m’a interrogé m’a avoué qu’il avait dû pas mal potasser lui-même car il ne savait rien à ce sujet… J’ai reçu une bonne note et depuis ce jour-là mon intérêt pour Cuba n’a jamais faibli, bien au contraire.
Le titre de mon exposé est donc « Le peuple cubain ne partage pas son surplus, il partage ce qu’il a ! »
Lorsque notre ami Michel Fleury, qui se dévoue sans compter pour Cuba, a proposé ce titre pour ma présentation, j’ai réalisé que ce fait était non seulement tout à fait exact mais aussi assez inhabituel et qu’il méritait, en effet, quelques explications. D’abord, lorsqu’on dit que le peuple cubain partage ce qu’il a, on a l’air de sous-entendre qu’il partage le peu qu’il a. Mais a-t-il vraiment si peu ? C’est sans doute vrai du point de vue de notre société de consommation, dans laquelle il est souvent plus important d’avoir que d’être, de posséder plutôt que de partager. Vu sous cet angle, par la faute du demi-siècle de sanctions et de blocus qui lui a été imposé, le peuple cubain ne dispose guère de surplus, en effet. Observons d’ailleurs que quand on parle de surplus, on pense immédiatement au surplus de l’armée étasunienne, qu’on appelait encore « américaine » à l’époque, surplus qui a beaucoup fait rêver les européens les plus pauvres après la deuxième guerre mondiale. Mais ce surplus-là, il était vendu, pas donné, ni partagé…
Ce que possède le peuple cubain a en réalité une valeur inestimable bien que non monnayable. Il s’agit des principes qui l’animent depuis le début de la Révolution, ceux de solidarité, d’égalité et de collaboration fraternelle entre les peuples, contre toute forme de racisme et d’oppression, pour la sauvegarde des droits humains, collectifs et individuels, ainsi que pour la consolidation de la paix. Et il les partage avec tout le monde, surtout avec ceux qui en ont le plus besoin.
Mais il convient de souligner d’emblée que Cuba est un pays à la fois solidaire et souverain, deux notions qu’une certaine gauche européenne a parfois tendance à opposer. Pour certains, en effet, être souverainiste ce serait être nationaliste et donc opposé à la solidarité internationaliste. Cuba prouve inlassablement que non seulement ces deux principes ne sont pas incompatibles mais qu’ils peuvent même être parfaitement complémentaires.
Pourtant, imaginez qu’un mouvement politique français, suisse, italien ou, surtout, allemand adopte comme slogan « La patrie ou la mort ». Il serait immédiatement accusé de chauvinisme ou de xénophobie, voire de fascisme… Or ce slogan est celui de la Révolution cubaine : « Patria o muerte ». A l’heure où l’indépendance des États européen se dissout de plus en plus dans l’UE et dans l’OTAN, cela devrait, me semble-t-il, inciter à la réflexion.
Il y a quelques semaines, nous étions réunis à Berne pour célébrer l’anniversaire du 26 juillet 1956, qui fut sans aucun doute l’un des événements historiques les plus importants du vingtième siècle. Ce ne fut ni un coup d’état, ni un changement de régime fomenté de l’extérieur, dans le genre révolution de couleur, mais bien le début d’une véritable insurrection populaire, d’une vraie révolution.
L’attaque de la caserne de la Moncada, à Santiago de Cuba, est devenue un symbole de lutte pour la justice, pour la liberté et pour l’indépendance. Les combattants héroiques dirigés par Fidel Castro, ceux qui se sont sacrifiés en ce jour de juillet 1953 comme ceux qui ont lutté jusqu’à la victoire finale de la Révolution en janvier 1959, constituent pour toujours un exemple et une inspiration pour tous les révolutionnaires.
Chargé de prononcer à Berne un message de bienvenue au nom de la coordination nationale de l’ASC, je me suis demandé publiquement ce que Cuba avait de plus admirable que d’autres pays qui méritent eux aussi notre admiration? J’ai suggéré que c’était d’abord la résistance opiniâtre de son peuple durant plus de 60 ans de blocus et d’hostilité impériale, ce qui est sans équivalent dans l’histoire de l’humanité. Et aussi la solidarité internationale qui anime Cuba depuis toujours et qui est également incomparable, comme on a pu le constater depuis le début de la pandémie de covid-19, au cours de laquelle les Cubains sont venus en aide à des dizaines de pays aux quatre coins de la planète, et même tout près d’ici en Italie du nord.
Mais il y a aussi d’autres raisons d’admirer Cuba. L’un des vaccins cubains contre la covid s’appelle “Soberana”, c’est à dire “souverain”, ce qui me paraît être un symbole révélateur. Cuba n’est pas seulement le pays le plus solidaire et internationaliste du monde, mais aussi l’un des rares pays véritablement souverains.
Personne ne peut lui dire ce qu’il doit faire et nul ne peut le soumettre, comme le dit un chant patriotique suisse bien connu à propos du peuple des bergers. En Russie, depuis le temps de l’Union Soviétique et jusqu’à maintenant, Cuba est appelée “l’île de la liberté”. C’est mérité, mais Cuba est aussi l’île de la dignité, notion qui a malheureusement disparu de la majorité des pays européens, peut-être parce que la dignité n’est pas une valeur côtée en bourse…
Pour en revenir à la solidarité, c’est un fait que contrairement à d’autres, les Cubains ne partagent pas leur surplus mais partagent ce qu’ils ont, et que ce n’est pas rien.
L’exemple des médecins de l’ile qui partent depuis des dizaines d’années à la rescousse des populations qui en ont besoin partout dans le monde est symbolique à cet égard. Car si Cuba se fait payer pour cela lorsqu’il s’agit de pays riches, ce qui paraît la moindre des choses, cette aide est gratuite et désintéressée pour les pays pauvres de l’Amérique latine, d’Afrique et d’ailleurs.
Il faut également souligner l’importance de l’Ecole de médecine des Amériques, située près de la Havane, où étudient gratuitement des centaines de futurs médecins cubains, latinoaméricains mais aussi étasuniens lorsqu’ls viennent de quartiers déshérités et n’auraient jamais autrement eu l’occasion de faire des études de médecine.
Quelle différence avec certains occidentaux qui n’hésitent pas à envoyer des médicaments ou des vaccins périmés, notamment en Afrique, au titre d’une prétendue aide humanitaire. Ce fut le cas récemment lors de la pandémie de covid-19, mais aussi à bien d’autres reprises, en particulier lors de la disparition de l’Union Soviétique, quand des maladies qui avaient disparu, comme la diphtérie, ont fait leur retour à la faveur, si l’on peut dire, du grand bond en arrière qui a suivi la disparition du socialisme et le passage à un capitalisme sauvage de type Far West. Travaillant alors à l’OMS, j’ai le souvenir de ministres de la santé d’ex-républiques soviétiques devenues indépendantes et qui se plaignaient amèrement de recevoir de l’occident, en guise d’aide humanitaire, des fournitures médicales ayant dépassé la date de péremption. A peu près à la même époque, un programme spécial de l’OMS d’assistance au pays les moins avancés économiquement avait proposés à ceux qui le souhaitaient de les aider à améliorer leurs systèmes de santé. Cuba, qui disposait déjà d’un excellent service de soins à l’époque mais qui se trouvait confronté à de graves difficultés économiques en raison de la disparition de ses alliés du camp socialiste, avait accepté cette offre, en l’assortissant toutefois d’une condition : que l’on ne touche pas à la gratuité des soins de santé. Aucun autre pays concerné n’avait formulé une telle exigence, et certains se sont retrouvés avec des services de santé largement privatisés et donc payants, c’est-à-dire le plus souvent réservés aux riches.
Toujours dans le domaine de la santé, il faut mentionner l’exceptionnelle opération de solidarité organisée sous l’impulsion de Fidel Castro pour recevoir les enfants ayant souffert de la catastrophe de Tchernobyl. Comme le souligne le site de l’Association Cuba coopération France, qui vient de lui consacrer un long article (https://cubacoop.org/Les-enfants-de-Tchernobyl-a-Cuba-une-histoire-jamais-racontee-1-4), il s’agit d’une histoire humaine si peu connue dans le monde, et pourtant si révélatrice de l’esprit de solidarité du peuple cubain et de ses dirigeants !
On peut y lire : « C’est ainsi qu’il y a 32 ans, 139 enfants russes, ukrainiens et biélorusses sont arrivés à Cuba, après l’explosion du réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Ce jour là naissait le programme humanitaire le plus long de l’histoire ».
Ce premier vol vers Cuba transportant des enfants très malades, soufrant de problèmes onco-hématologiques est arrivé à La Havane le 29 mars 1990 à 20h46 sur un vol Aeroflot. Fidel lui même les a reçus, à la sortie de l’avion. Les hôpitaux pédiatriques Juan Manuel Márquez, William Soler et l’Institut d’Hématologie étaient prêts à les accueillir. Cette nuit-là marqua le début d’un programme qui devait durer 21 ans et permettre de soigner simultanément des milliers d’enfants venant des régions les plus touchées de Russie, de Bielorussie et d’Ukraine.
Le régime actuel de Kiev a cependant la mémoire courte et ne témoigne d’aucune reconnaissance à l’égard de Cuba, puisque lors du dernier vote aux Nations Unies de la résolution exigeant la fin du blocs étasunien, l’Ukraine a voté contre aux côtés des Etats-Unis et d’Israël…
La solidarité internationaliste de Cuba s’est également manifestée, en Afrique, dans le domaine de la décolonisation, lorsque des milliers de volontaires sont venus au secours de l’Angola agressé militairement par le régime raciste de l’Afrique du Sud. Cette aide militaire cubaine a également contribué à la chute de ce régime, grâce notamment à la victoire historique de Cuito Cuanavale, en Angola, bataille dans laquelle l’armée sud-africaine été défaite par les soldats cubains. Ce n’est pas par hasard que Fidel Castro a été le premier chef d’état à recevoir après sa libération la visite de Nelson Mandela, que les médias occidentaux ont couvert d’éloges pendant toute sa présidence après l’avoir traité de « terroriste communiste » lorsqu’il avait été arrêté par les sbires de Pretoria avant de passer 24 dans les geôles de ces grands amis des Etats-Unis et d’Israël. Les larmes de crocodile des dirigeants occidentaux lors des funérailles de Mandela, dont ils s’étaient approprié les mérites, n’en ont été que plus grotesques et hypocrites.
Cuba est donc un pays internationaliste et solidaire, qui partage ce qu’il a, qui ne menace personne, qui n’essaie pas de changer des régimes qui lui déplaisent et qui ne demande pas mieux que d’avoir de bonnes relations avec tout le monde, y compris son grand voisin du nord. Mais pourquoi dès lors cette haine acharnée que lui vouent depuis plus de 60 ans les Etats-Unis d’Amérique ? La question a été posée il y a quelques années sur un plateau de télévision à un intellectuel étasunien noir, afro-américain, comme il convient de dire désormais. « C’est très simple », a-t-il répondu. « Imaginez un petit pays en voie de développement qui assure la santé et l’éducation gratuite à tous ses habitants, alors que la plus grande puissance mondiale, située à 120 kilomètres à peine, est incapable de le faire. Rien que cela est insupportable et explique cette hostilité et ce désir désespéré d’en finir avec le socialisme cubain ».
Un mot encore en ce qui concerne la manière de s’informer sur Cuba. Il y a quelques années, l’ancien directeur du mensuel français le Monde Diplomatique, Ignacio Ramonet, est venu à l’université de Genève présenter son livre sur Fidel, qu’il avait interviewé pendant des dizaines d’heures dans le but de rédiger une biographie du dirigeant de la Révolution cubaine. Il a indiqué à cette occasion que depuis une vingtaine d’années les médias de grand chemin n’avaient pas consacré à Cuba un seul article qui ne soit pas négatif. Et si de nombreuses tribunes libres avaient été confiées à des opposants, exilés en France ou ailleurs, aucune ne l’avait été à des défenseurs de la révolution cubaine. C’est valable pour la France mais sans doute aussi pour les autres pays occidentaux, francophones ou pas. C’est ce qui explique que les lecteurs et auditeurs français ou suisses ne sachent presque rien de Cuba tout en ayant une impression générale négative. Il est pourtant facile de s’informer, grâce à MédiCuba et à l’ASC, bien entendu, mais aussi sur internet et même en regardant la TV cubaine, facilement accessible avec une antenne parabolique. Et il n’est même pas nécessaire de comprendre parfaitement l’espagnol pour prendre conscience, rien qu’en voyant les images diffusées, que l’on ne nous dit pas la vérité à propos de ce pays.
D’une manière générale, ce que montrent les télévisions est fiable quand il s’agit de leur propre pays dans la mesure où les téléspectateurs connaissent bien le pays dans lequel ils vivent et on ne peut donc pas leur raconter n’importe quoi. En revanche, lorsqu’il est question de pays qu’ils ne connaissent pas et où ils n’ont jamais mis les pieds, tous les mensonges et manipulations sont possibles. Il est révélateur à cet égard que dès le début de la guerre en Ukraine les entreprises occidentales qui contrôlent les satellites en ont supprimée les télévisions russes en français, en anglais et en espagnol, pour éviter qu’un autre point de vue puisse être diffusé dans l’opinion publique, mais aussi les télévisions en russe. Or il y a peu de gens dans nos pays qui comprennent le russe, à part les ressortissants ou originaires de pays russophones qui savent généralement à quoi s’en tenir et n’ont pas besoin qu’on leur explique ce qu’ils doivent croire. Cela signifie que ceux qui formatent l’opinion publique en occident ont peur que même la seule vision d’images muettes conduise les gens à comprendre que ce qu’ils voient à la télévision de l’ennemi ne correspond pas nécessairement à ce que racontent les médias dominants du prétendu monde libre…
Si nous tous ici dans cette salle connaissons les mérites de Cuba et de sa révolution, et savons que les Cubains partagent ce qu’ils ont avec un sens de la solidarité inégalé, ce n’est pas le cas de la très grande majorité de l’opinion publique. C’est donc le rôle d’organisations telles que l’ASC et MédiCuba, mais aussi des partis et mouvements vraiment de gauche, de combler cette lacune en apportant des informations qui rétablissent la vérité. C’est loin d’être facile, mais si nous sommes réunis ici cet après-midi c’est que sommes conscients de la nécessité urgente de le faire.
Philippe Stroot, 10 septembre 2022