20 ans de MediCuba-Suisse, article paru dans Le Courrier du 29 septembre 2012

Le Courrier, samedi 29 septembre 2012
PROPOS RECUEILLIS PAR 
SERGIO FERRARI
«Si notre solidarité s’est traduite par des appuis matériels, le plus important est l’esprit d’échange et tout ce que nous avons appris de nos collègues cubains.» Le bilan des 20 ans de MediCuba , une des principales organisations de coopération solidaire de Suisse et d’Europe (l’ONG existe aussi sur le plan continental), est clair: il ne s’agit pas de «donner» mais de «partager », explique le docteur Martin Herrmann, coprésident de MediCuba- Suisse.
Possédant une longue expérience de solidarité dans de nombreux pays du Sud – Nicaragua, Salvador, Kenya, Soudan, Erythrée, etc. –, le Dr Herrmann est spécialisé en chirurgie générale et traumatologie. Ancien responsable du service de chirurgie de l’Hôpital de Moutier, il a décidé de mettre ses trente ans d’expérience professionnelle au service de MediCuba.
MediCuba a été créé il y a deuxdécennies, juste au moment où certains prédisaient la «fin de l’histoire» et de l’expérience cubaines…
Martin Herrmann: La disparition du bloc économique COMECON, qui unissait principalement les pays de l’Est européen, a mis fin aux relations d’échanges économiques favorables dont jouissait Cuba. En même temps, ce pays demeurait victime du blocus étasunien.
Ces facteurs ont accentué la crise interne sur l’île caribéenne et ont eu une influence directe sur le système de santé, malgré la priorité que lui a toujours accordée le gouvernement. C’est à ce moment-là qu’un groupe de médecins suisses ayant une vision internationaliste et au bénéfice d’expériences personnelles de collaboration et d’amitié avec des médecins cubains ont proposé leur aide. Nous étions convaincus que l’accès à la santé doit être universel, c’est un droit de l’être humain, partout sur notre planète.
Au début, il s’agissait essentiellement d’une aide d’urgence.
Nous financions des équipements et des pièces de rechange.
Au fil du temps et dans la mesure où se produisait une relative reprise économique, nous avons consacré notre aide à des projets à moyen et long termes, permettant notamment de réaliser des économies et des améliorations.
Un exemple: depuis quinze ans,nous finançons – avec tout un réseau d’organisations européennes – l’achat des matières premières pour la fabrication de médicaments à l’usage des hôpitaux. Un apport d’environ 10 millions de francs suisses a permis à Cuba de produire des médicaments pour 40 millions de francs et de maintenir les capacités productives de l’industrie pharmaceutique locale.
Les réussites de Cuba dans les domaines de la santé et de  l’éducation sont souvent  mentionnées. Quelle est dès  lors la nécessité d’une aide  internationale dans ces domaines?
Une partie des réussites cubaines sont dues à des initiatives qui requièrent peu de moyens financiers: essentiellement l’amélioration de l’hygiène, qui repose sur l’éducation populaire. Toutefois, lorsqu’on améliore l’état de santé surgissent de nouveaux défis médicaux. Par exemple, les maladies chroniques qui ont un impact significatif pour la population adulte.
De plus, les Etats-Unis continuent de monopoliser le secteur médical à l’échelle mondiale, que ce soit pour la littérature, la production de matériel médical ou de médicaments – directement ou au moyen de brevets. Le blocus s’applique aussi à la santé, de sorte que Cuba ne peut accéder directement à de nombreux produits, de même qu’au savoir et à la formation. 
Notre solidarité, conçue comme un échange, ne cherche pas seulement à suppléer aux limitations locales, mais veut aussi contribuer à promouvoir l’indépendance cubaine.
Actuellement, la grande majorité de nos projets visent à l’introduction de procédés et de techniques qui permettront à nos partenaires d’avoir un développement autonome. Et cela servira aussi à renforcer la coopération médicale cubaine avec d’autres pays du Sud. Dans cette optique, MediCuba a contribué à l’installation d’une usine pour la production de médicaments pour combattre le cancer. Nous mettons à profit nos compétences et nos réseaux professionnels pour échanger avec nos collègues cubains et favoriser un développement parallèle au nôtre.
Quel est le solde le plus positif  de l’action de MediCuba?
En vingt ans, la valeur nette de notre apport au système de santé cubain s’est monté à plus de 5 millions de francs suisses.
Mais le plus important est que nous avons construit une collaboration, des liens de confiance mutuelle et d’amitié à différents niveaux qui nous permettent d’avancer ensemble.
Nous avons connu les médecins cubains dans le cadre de missions internationalistes d’aide à d’autres pays. MediCuba, ce n’est pas une solidarité unidirectionnelle, mais bien une relation où les deux parties sont protagonistes, elles pratiquent et vivent la solidarité ensemble.
Si par exemple la DDC, la coopération officielle suisse, a ouvert il y a quelques années un bureau à La Havane, c’est aussi en partie grâce à des contacts et des relations de confiance établis par des organisations comme MediCuba. Grâce aux financements accordés, les responsables ont pu mesurer la compétence et le sérieux des partenaires cubains.
Par ailleurs, si nous analysons les résultats qu’un système de santé sans interférences d’intérêts privés peut obtenir, comme c’est le cas à Cuba, nous pouvons en tirer des enseignements, des concepts, des apports très riches pour le débat sur le droit à la santé pour tous, aussi en Suisse et en Europe. 
Avez-vous rencontré des difficultés, des incompréhensions avec 
vos partenaires cubains?
Les collègues cubains ne parviennent pas toujours à convaincre les instances administratives locales, qui doivent approuver et accompagner les projets. Nous ne pouvons pas et ne voulons pas favoriser un centre plutôt qu’un autre ou une personne individuellement.
Le Ministère de la santé doit assurer le bon usage de la coopération, mais les responsables ne partagent pas toujours nos concepts ou nos priorités.
Une autre difficulté vient des changements administratifs.
Certains projets ont commencé sous la responsabilité d’une institution, avant de dépendre soudainement d’une autre, avec parfois des incompréhensions mutuelles et des perceptions erronées de part et d’autre. Dernièrement, nous avons vécu des retards et des réorientations dus à la réorganisation des ministères et de l’économie. Ces changements nous paraissent importants à long terme, mais dans l’immédiat, ils peuvent entraver notre travail de solidarité.
Les médias européens en général sont très critiques envers Cuba.
Dans quelle mesure MediCuba  a-t-elle pu donner sa propre image de ce pays?
En informant pas à pas, avec des exemples concrets, réels, sans se soumettre à des visions idéologiques préconçues, nous avons réussi, du moins partiellement, à contrecarrer l’image distordue que donnent les grands médias sur un pays qui n’en a jamais attaqué un autre. Malgré le harcèlement, depuis des dizaines d’années, de la part des Etats-Unis et de leurs alliés, et malgré ses propres erreurs, spécialement dans le domaine économique,
Cuba a défendu un concept de droits humains qui priorise l’accès égalitaire à la santé et à l’éducation. Un concept qui va bien au-delà des frontières nationales.
Par dizaines de milliers, des médecins et du personnel paramédical cubains travaillent jusque dans les coins les plus reculés du monde, solidairement, avec les populations locales les plus défavorisées.
Une vision de la coopération entre pays du Sud qui est remarquable et emblématique dans un monde de plus en plus divisé par des frontières artificielles.
Comment voyez-vous l’avenir?
Notamment au prisme des réformes entreprises à Cuba.
Nous aimerions parvenir à une collaboration qui peu à peu s’éloignerait encore davantage du concept d’«aide». Une piste nous est offerte par la recherche scientifique. Sous divers aspects, les conditions sont meilleures à Cuba que chez nous. Sous d’autres – notamment financiers et de méthodologie –, nous avons des avantages ici. Nous souhaiterions promouvoir les recherches multilatérales. Autrement dit, «renverser» la globalisation en faveur de la population, là-bas et ici.
Il est difficile de faire des pronostics quant aux réformes.
J’ai l’impression que l’époque de la domination unilatérale des Etats-Unis touche à sa fin, en tout cas en Amérique latine elle s’est affaiblie. 
Un monde multipolaire laissera davantage d’espace pour des expériences autonomes. Il est certain que le gouvernement cubain cherche son modèle économique, en apprenant d’autres expériences.
Cuba continue de jouer un rôle essentiel dans l’intégration latino-américaine et celleci, certainement, conditionnera le développement de l’île, et en même temps le renforcera. I
Traduction: Noémi Favre

 L’ONG organise une fête dimanche 28 octobre dès 16h à l’Espace solidaire des Pâquis, à Genève. 
La prévention et l’éducation à la santé: des moyens simples et peu couteux à l’origine des succès de la santé publique cubaine. Soumise à l’embargo, celle-ci n’en a pas moins besoin de la solidarité d’ONG telles que MediCuba. 

Les opportunités de la réforme économique
«La santé publique constitue un pilier essentiel de la politique sociale de la Révolution… Une conquête de base et un bien auquel nul n’est disposé à renoncer», souligne le chirurgien cubain Nélido González Fernández. Vice-directeur de l’Institut national d’oncologie et de radiothérapie, il est aussi, depuis des années, l’un des principaux interlocuteurs et promoteurs des programmes de MediCuba.
Selon lui, les changements dans l’organisation de l’économie entrepris ces dernières années déterminent «un programme de régionalisation et de rationalisation du système national de santé», sans pour autant affecter son ouverture internationale. «Nous n’avons pas renoncé à notre internationalisme. Nous avons aujourd’hui plus de médecins en activité dans différents pays que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) elle-même», affirme-t-il. Dans certains pays, où les partenaires ont les moyens de rétribuer de quelque manière ces services, «la présence de notre personnel reçoit une contrepartie qui contribue à la viabilité de notre système de santé».
Les ajustements internes en cours à Cuba – c’est-à-dire «les changements et le perfectionnement de notre modèle économique» – rendent les différentes formes de solidarité internationale, comme celle de mediCuba, encore plus importantes. En particulier, parce qu’avec la décentralisation économique, «nous attachons une grande importance aux projets de développement local», qui sont aussi stimulés par la coopération. 
De plus, explique Nélido González, avec le remplacement d’un nombre infini d’activités jusqu’ici exercé par l’Etat par le travail à compte propre (petites entreprises ou indépendants, notamment dans le secteur des services, ndlr), «la collaboration du gouvernement cubain avec des ONG internationales comme MediCuba est un complément salutaire. Spécialement pour assurer le bien-être de base, conformément aux objectifs de la Révolution».
Le Dr González conçoit cette coopération en provenance de la Suisse «comme un exercice horizontal et transparent. Nous pouvons prouver clairement où va chaque ressource, comment les dons sont utilisés, en donnant une totale garantie qu’il n’existe pas la moindre possibilité de corruption», au contraire de ce qui se passe dans tant d’autres pays, relève-t-il.
SFI
Publié dans Actuel, Cuba, Suisse

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