Cuba, les Etats-Unis et la traite d`êtres humains

Les Etats-Unis viennent une nouvelle fois de placer Cuba dans la liste des pays impliqués dans la traite d’êtres humains. Néanmoins, les institutions internationales contredisent le point de vue de Washington.
Dans son rapport 2014 sur les pays pratiquant la traite d’êtres humains à travers le monde, le Département d’Etat a de nouveau intégré Cuba et l’a placée dans la pire des catégories. Selon Washington, « adultes et enfants sont victimes de trafic sexuel et de travaux forcés » dans l’île. « La prostitution infantile et le tourisme sexuel sont une réalité à Cuba […]. Il y a eu des allégations de travaux forcés lors des missions à l’étranger réalisées par le gouvernement cubain[1] ».
Cependant, Washington reconnait le manque de fiabilité de ses sources:
« Certains Cubains qui participent à ces missions de travail ont déclaré que leur présence était volontaire et que le poste était bien rémunéré comparé aux emplois offerts à Cuba. D’autres affirment que les autorités cubaines les ont obligés à participer à ces missions, y compris en leur enlevant leurs passeports et en restreignant leurs mouvements. Certains professionnels de la santé qui participaient à ces missions ont pu profiter de visas étasuniens et de certaines facilités migratoires pour se rendre aux Etats-Unis avec leurs passeports, ce qui indique au moins que certains professionnels de la santé conservent leurs passeports. Les rapports sur la contrainte imposée par les autorités cubaines ne semblent pas refléter une politique gouvernementale uniforme. Il est à noter que l’information manque à ce sujet[2] ».
Le rapport fait, entre autres, référence au Cuban Medical Professional Parole Program (CMPP). En effet, depuis 2006, Washington a mis en place une politique destinée à piller l’île de son capital humain en facilitant l’émigration de son personnel médical vers les Etats-Unis. Ce programme cible notamment les 30’000 médecins cubains et autres personnels de santé qui travaillent dans près de 60 pays du Tiers-monde, dans le cadre d’une vaste campagne humanitaire lancée depuis 1963 par Cuba afin de soigner les déshérités de la planète[3].
Ainsi, en dépit du manque d’informations fiables, le rapport 2014 conclut que « le gouvernement de Cuba ne remplit pas les standards minimum pour éliminer la traite d’êtres humains et ne réalise pas les efforts nécessaires pour cela[4] ».
Le point de vue de l’UNICEF
L’accusation la plus grave concerne la prostitution infantile. Or, l’UNICEF – Fonds des Nations unies pour l’enfance – ne partage pas cet avis et salue, au contraire, les avancées de Cuba dans la protection de l’enfance. D’après l’organisme onusien, « Cuba est un exemple dans la protection de l’enfance[5] ». Selon Juan José Ortiz, représentant de l’UNICEF à La Havane, « la malnutrition sévère n’existe pas à Cuba [car] il y a une volonté politique » de l’éliminer. « Ici, il n’y a aucun enfant dans les rues. A Cuba, les enfants sont toujours une priorité et c’est pourquoi ils ne souffrent pas des manques qui affectent des millions d’enfants en Amérique latine, qui travaillent, qui sont exploités ou qui se trouvent dans des réseaux de prostitution[6] ».
Ortiz fait part de son expérience à ce sujet : 
« Il y a des millions d’enfants qui sont exploités quotidiennement, qui n’iront jamais à l’école ; des millions de garçons et de filles qui n’ont même pas d’identité, qui n’existent pas car ils ne n’ont pas été recensés[7].
Cuba, depuis plus de 50 ans, a été un modèle de défense et de promotion des droits de l’enfant. Les politiques publiques en faveur de l’enfance ont été une priorité depuis des années. Grâce à cela, le pays a atteint quelque chose de vraiment inédit dans le monde en développement. Parmi les centaines de millions de garçons et de filles qui subissent des atteintes gravissimes à leurs droits, qui meurent même chaque jour pour des causes absolument évitables, aucun de ces enfants n’est cubain. C’est la démonstration claire que cela est possible si les Etats développent l’attention à l’enfance et en font une priorité.
[…] Cuba démontre que, malgré les crises internationales, malgré la gravité de l’impact des sanctions économiques sur le développement de l’enfance, malgré tout cela – car c’est le seul pays qui en souffre –, il est possible de garantir pleinement les droits de l’enfant et d’atteindre des niveaux de développement humain de plus en plus élevés comme c’est le cas à Cuba. Cuba est un exemple dans le monde sur la façon de travailler pour garantir les droits de l’enfant et le plein développement. Le peuple cubain jouit d’un trésor dont il dispose et dont il ne se rend parfois pas compte. Les enfants et les adolescents sont des privilégiés en comparaison avec le reste du monde[8].
20’000 enfants vont mourir dans le monde [aujourd’hui], et l’écrasante majorité de ces décès pourrait être évitée. Il est criminel de laisser mourir des enfants, alors que nous avons les moyens de les sauver. Si la question de l’enfance était une priorité au niveau mondial, les problèmes dont sont victimes les enfants seraient donc résolus depuis longtemps, comme cela est le cas à Cuba. 
Cuba a toujours été un exemple dans le secteur du développement social, avec des niveaux d’égalité similaires à ceux des pays les plus développés. 
Le travail accompli à Cuba avec les mineurs délinquants (autre grand thème et défi pour l’Amérique Latine et la Caraïbe) est exemplaire. Ici, il n’y a pas de barreaux pour les enfants. Le système prône la réhabilitation pour ces jeunes égarés […]. De même, tous les enfants handicapés sont pris en charge, et ce, à domicile même si l’enfant n’est pas en mesure de se déplacer. C’est ici est une avancée exceptionnelle.[…]. C’est le seul pays que je connaisse où l’on peut célébrer en dansant la Journée Internationale de l’Enfance […][9] ».
Le représentant de l’UNICEF souligne également la chose suivante : « En raison de mon travail je me suis consacré dans tous les pays à enterrer des enfants. Cependant, à Cuba, je me consacre à jouer avec eux ». Il n’hésite pas à qualifier l’île de « paradis de l’enfance en Amérique latine[10] ». L’UNICEF rappelle que Cuba est le seul pays d’Amérique latine et du Tiers-monde à avoir éradiqué la malnutrition infantile[11]. 
Réponse de La Havane
Du côté de La Havane, les autorités ont fermement condamné la nouvelle inclusion de Cuba, présente sur la liste noire depuis 2003, dans le groupe des pays impliqués dans la traite d’êtres humains, et ont qualifié le rapport de « manipulateur et unilatéral[12] » :
« Le Département d’Etat a décidé une nouvelle fois d’inclure Cuba dans la pire des catégories (niveau 3) de son rapport annuel sur les pays qui ‘ne remplissent pas complètement les standards minimum pour l’élimination de la traite de personnes et ne font pas d’efforts significatifs en ce sens’, en faisait fi de la reconnaissance et du prestige atteints par notre pays pour son engagement marqué en faveur de la protection de l’enfance, de la jeunesse et de la femme.
Cuba n’a pas sollicité l’évaluation des Etats-Unis ni n’a besoin des recommandations du gouvernement d’un des pays ayant le plus grand nombre de problèmes de traite d’enfants et de femmes au monde. Les Etats-Unis ne disposent d’aucune autorité morale pour qualifier Cuba, ni pour nous suggérer des ‘plans’ d’aucune sorte, alors qu’on estime que le nombre de citoyens nord-américains victimes de trafic est proche des 200’000, où l’exploitation au travail est la forme de traite de personnes la plus répandue, où 85% des procès ouverts à ce sujet correspondent à des cas d’exploitation sexuelle, et où plus de 300’000 enfants, parmi le million qui abandonnent leur domicile, sont sujets à une forme d’exploitation. […]
L’inclusion dans cette liste, pour des motivations totalement politiques, comme cela l’est également pour la désignation de Cuba comme Etat soutenant le terrorisme international, est destinée à justifier la politique de blocus économique […] qui affecte gravement nos enfants, notre jeunesse, nos femmes et tout notre peuple[13] ».
Washington reconnait le caractère lacunaire de son rapport et l’UNICEF met à mal les accusations contre Cuba. En plus de cela, l’implication des Etats-Unis dans la traite d’êtres humains et dans l’exploitation légale d’enfants dès l’âge de 12 ans sape leur autorité morale et porte un coup sévère à leur crédibilité.
Selon Human Rights Watch, les Etats-Unis sont le seul pays développé à permettre légalement l’exploitation des enfants au travail dès l’âge de 12 ans.
La traite d’êtres humains aux Etats-Unis
Les Etats-Unis affirment considérer comme prioritaire la lutte contre la traite d’êtres humains. Selon John F. Kerry, les Etats « ont une obligation morale de relever ce défi [car] la traite d’êtres humains est une attaque contre nos valeurs les plus chères comme la liberté et la dignité humaine[14] ». 
Néanmoins, sur cette question, le rapport du Département d’Etat lui-même est accablant pour Washington. En effet, « les Etats-Unis sont un pays source, de transit et de destination pour des hommes, des femmes et des enfants – à la fois citoyens étasuniens et résidents étrangers – victimes de trafic sexuel et de travaux forcés[15] ». 
Selon ce même rapport,
« Les medias ont fait part d’abus dont ont été victimes les ressortissants étrangers travaillant pour l’Armée américaine en Afghanistan. Des ONG ont rapporté que des détenteurs de visa travaillant en tant que domestiques ont été soumis à des travaux forcés par le personnel des missions diplomatiques et des organisations internationales présentes aux Etats-Unis. Des femmes et des filles indiens-américains ont été soumises au commerce sexuel et la jeunesse LGBT a été particulièrement vulnérable auprès des trafiquants[16] ».
Le rapport de Human Rights Watch
Par ailleurs, les Etats-Unis sont sans doute le seul pays développé où les enfants peuvent être exploités au travail dès l’âge de 12 ans. Human Rights Watch, organisation de défense des droits de l’homme, a ainsi dénoncé l’exploitation des enfants dans les champs de tabac. Selon cette organisation, ces derniers sont en moyenne âgés de 13 ans et travaillent jusqu’à 60 heures par semaine. Selon une enquête de HRW, 53% d’entre eux sont exposés aux pesticides, 66% souffrent de symptômes récurrents telles que « des nausées, vomissements, maux de tête, vertiges, et  perte d’appétit » dus à l’exposition à la nicotine et 73% ont déjà été malades, atteints de « nausées, maux de tête, maladies respiratoires, problèmes de peau et autres symptômes ».[17]
Selon HRW, les enfants « travaillent de longues journées sans que les heures supplémentaires ne soient rémunérées, souvent sous une chaleur extrême sans zone ombragée ou pauses suffisantes, et sans protection adéquate ». Ils sont ainsi « exposés à une nicotine nocive sans avoir fumé une seule cigarette ». Les enfants sont également contraints de manipuler « des outils et des machines dangereux, de soulever de lourdes charges, de grimper sur plusieurs niveaux sans protection pour suspendre le tabac dans les granges[18] ». 
L’organisation ajoute que « les tracteurs ont versé des pesticides près des zones de travail », affectant gravement la santé des enfants, lesquels ont souligné que « le spray les atteignait directement, les faisant vomir, leur donnant des vertiges, et leur provoquant des difficultés à respirer et une sensation de brûlure au niveau des yeux ». De plus, la plupart des pesticides utilisés dans la production de tabac sont « des neurotoxiques notoires, du poison qui altère le système nerveux ». Une telle exposition peut provoquer à long terme « le cancer, des problèmes cognitifs et d’apprentissage et la stérilité ». HRW souligne que « les enfants sont particulièrement vulnérables car leurs corps et leurs cerveaux n’ont pas encore complété leur croissance ». Par ailleurs, « la plupart des enfants interviewés par Human Rights Watch ont déclaré qu’ils n’avaient pas accès aux toilettes ou à un endroit pour se laver les mains sur leur lieu de travail, restant ainsi avec des résidus de tabac et de pesticides sur leurs mains, y compris durant les périodes de repas[19] ».
En 2012, 70% des enfants âgés de moins de 18 ans décédés d’un accident de travail étaient des travailleurs agricoles. Aucune protection suffisante n’est offerte par le code du travail des Etats-Unis. Ainsi, les enfants peuvent être exploités dans l’agriculture dès l’âge de 12 ans et travailler « durant plus d’heures, à un salaire inférieur, dans des conditions plus dangereuses que dans tout autre industrie[20] ».
Le classement de Cuba dans la liste des pays impliqués dans la traite d’êtres humains est, semble-t-il, davantage motivé par des considérations politiques et idéologiques, que par une base factuelle précise et vérifiable. En effet, les organisations internationales, notamment celles chargées de la protection de l’enfance telle que l’UNICEF, contredisent les affirmations de Washington au sujet de l’exploitation des mineurs. Au contraire, elles font l’éloge de la politique sociale en faveur de la protection des personnes de l’île de la Caraïbe. Par ailleurs, les Etats-Unis, plaque tournante de la traite d’êtres humains selon leur propre rapport, est le seul pays développé à autoriser l’exploitation des enfants dès l’âge de 12 ans, jetant ainsi une ombre sur leur crédibilité dès lors qu’il s’agit de défendre les droits humains.

Salim Lamrani

Source : Opera Mundi
http://www.mondialisation.ca/cuba-les-etats-unis-et-la-traite-detres-humains/5391170
http://www.mondialisation.ca/cuba-les-etats-unis-et-la-traite-detres-humains-22/5391197

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. 
Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba. Les médias face au défi de l’impartialité, Paris, Editions Estrella, 2013 et comporte une préface d’Eduardo Galeano. 
http://www.amazon.fr/Cuba-m%C3%A9dias-face-d%C3%A9fi-limpartialit%C3%A9/dp/2953128433/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1376731937&sr=1-1 
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» http://www.mondialisation.ca/cuba-les-etats-unis-et-la-traite-detres-humains/5391170
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