Obama stoppe l’incitation à l’exil

La libéralisation de la migration à Cuba amène les USA à supprimer le droit de résidence automatique.

Le dernier coup d’éclat de Barack Obama vis-à-vis de Cuba n’aura pas été le moins significatif. En mettant fin jeudi à l’octroi automatique d’un permis d’établissement aux Cubains arrivant aux États-Unis, le président sortant accède à une vieille revendication de La Havane, qui accusait Washington d’encourager ses ressortissants à l’exil. Une pratique instaurée sous Bill Clinton mais décriée à Cuba et même aux États-Unis car favorisant la «fuite des cerveaux». Le gouvernement cubain a d’ailleurs salué un «pas important» dans le processus de rapprochement entre les deux pays entamé durant le second mandat de Barack Obama.

«Aujourd’hui, les États-Unis franchissent des étapes importantes pour normaliser les relations avec Cuba en mettant fin à la politique connue sous le nom de ‘pied sec, pied mouillé’ (wet foot, dry foot)» (lire ci-dessous), a indiqué le président démocrate dans un communiqué.

Double objectif

Cette démarche signifie que «nous traiterons les immigrants cubains de la même façon que les immigrants d’autres pays», a-t-il ajouté. Désormais, les Cubains qui tenteront d’entrer illégalement aux États-Unis et ne répondront pas aux critères d’assistance humanitaire «seront expulsés», a explicité la Maison Blanche. Seuls seront acceptés les migrants quittant légalement Cuba et faisant partie du quota de 20 000 personnes, instauré d’un commun accord, il y a une vingtaine d’années, par La Havane et Washington. Les démarches d’asile politique ne sont bien entendu pas touchées par cet accord.

En échange, les autorités cubaines se sont engagées à accepter le retour de Cubains expulsés du territoire étasunien de la même manière qu’elles le faisaient jusqu’ici pour les personnes interceptées en mer. Pratique en conformité avec la loi de 2013, permettant à tout Cubain de revenir sur l’ile.

La Maison Blanche a justifié l’annonce surprise de cette décision, prise après presque un an de négociations, par la nécessité de la discrétion. «Les discussions étaient délicates. Nous ne voulions pas provoquer un exode massif depuis Cuba», a expliqué Jeh Johnson, secrétaire à la Sécurité intérieure.

Rendue publique à huit jours du départ du président de la Maison Blanche, la mesure est également un moyen pour le démocrate de cimenter un peu plus un rapprochement sur lequel son successeur républicain Donald Trump s’est montré réservé.

Incitation à la migration

Mais des raisons moins avouables ont aussi motivé Washington. En effet, depuis l’instauration par La Havane d’un droit à la migration en 2013, le nombre de Cubains ayant rejoint les États-Unis a très fortement augmenté. Pour la seule année 2016, 63 000 Cubains sont arrivés chez le grand voisin, soit 3,5 fois plus qu’en 2013!

Du coté de La Havane, on estime que «cet engagement doit contribuer à la normalisation des relations migratoires, marquées depuis la victoire de la révolution par l’application de politiques agressives par les administrations étasuniennes successives, qui ont encouragé la violence, la migration clandestine et le trafic de personnes, provoquant de nombreuses morts d’innocents».

Le gouvernement cubain dénonce depuis longtemps la politique d’accueil spécifique des Cubains, population parmi les mieux formées et cultivées d’Amérique latine, comme une incitation à la fuite des cerveaux. Un professionnel cubain – notamment un médecin – pouvait espérer une intégration rapide aux USA et une importante ascension sociale tandis que le système cubain prévoit, lui, des salaires monétaires extrêmement modestes et relativement égalitaires. Les États-Unis accueillent 80% de la diaspora de l’ile.

Dans un éditorial de novembre 2014, le New York Times s’en prenait d’ailleurs à un programme d’incitation à la «désertion» des médecins cubains, alors même que ceux-ci étaient engagés en Haïti contre l’épidémie de choléra et en Afrique contre la propagation d’Ebola. Le texte relevait qu’en huit ans, ce programme lancé par George W. Bush et géré par le Cubano-Américain Emilio González avait entraîné l’exil de 5490 médecins cubains.

«Le système migratoire étasunien doit donner la priorité aux réfugiés et aux personnes persécutées les plus vulnérables au monde. Il ne doit pas être utilisé pour accentuer la fuite des cerveaux d’une nation adversaire, surtout si améliorer la relation entre les deux pays est un objectif viable et sensé», écrivait alors le prestigieux journal new-yorkais.

Le mythe de l’exode cubain

L’impact de cette politique doit toutefois être relativisé. Ainsi, l’État cubain admet lui-même que la migration ne l’aurait privé «que» de 5% des médecins formés entre 1959 et 2004(1). En chiffre brut, le mouvement n’est toutefois pas négligeable, lorsque l’on sait qu’un demi-million de Cubains travaillent aujourd’hui dans le système sanitaire de l’ile, peuplée de quelque 11 millions d’habitants. Et la perte est aussi financière, car l’envoi de médecins à l’étranger constitue l’une des principales recettes de l’État cubain, apport indispensable au maintien du système social et éducatif de l’ile.

Reste qu’en comparaison internationale, une vaste étude datant de 2007(2) indique plutôt une bonne résistance cubaine au phénomène. Quand ses voisins Haïti et la Jamaïque voient près des trois quarts de leurs diplômés – toutes disciplines confondues – s’établir dans un pays plus développé, Cuba affiche un taux de 17%, comparable à celui de pays européens comme l’Irlande (23%), la Croatie (18%) ou même le Portugal (13%), ou d’Amérique centrale comme le Guatemala (14%), le Honduras (15%), le Salvador (18%) ou le Nicaragua (19%). L’effet sans doute des restrictions aux voyages imposées aux Cubains et des mesures de rétorsion étatiques contre les émigrants illégaux

Plus largement, le chiffre de 1,2 million de Cubains résidant à l’étranger (10% des nationaux, près de 200 000 partis au lendemain de la révolution) est à mettre en rapport avec ceux des 900 000 Jamaïcains3 (25%) ou des 1,2 million de Salvadoriens(3) (16%) ayant quitté leur pays.

Comment réagira la future administration US à l’abrogation de la politique «pied sec, pied mouillé»? En principe, Donald Trump devrait accueillir favorablement une mesure qu’il avait lui-même réclamée. Reste à savoir si le lobby cubain de Miami et l’aversion du milliardaire populiste pour le processus de rapprochement entamé par Barack Obama et Raúl Castro modifieront la donne.

Benito Perez

Source : LeCourrier.ch  avec l’ATS

  • 1. Fernández Montequín, Zoila C, Sanabria Negrín, José G, Hernández Rodríguez, Yunit, Díaz Rodríguez, Pedro Alexis, & Véliz Gutiérrez, José Angel, «Fuga de cerebros: el mercado de talentos y sus secuelas», Revista de Ciencias Médicas de Pinar del Río, 13(4), 76-84, 2009.
  • 2. Docquier Frédéric, «Fuite des cerveaux et inégalités entre pays», Revue d’économie du développement, 2/2007 (Vol. 15), p. 49-88.
  • 3. Chiffres officiels qu’il s’agit probablement de doubler car ne comprenant pas les illégaux (https://www.oecd.org/fr/els/mig/les-migrations-internationales-en-chiffr…).

«Pied sec, Pied Mouillé»

La crise des balseros (de «balsas», les embarcations de fortune servant à prendre la mer) en 1994 avait conduit les deux pays à conclure un accord migratoire. Celui-ci prévoyait la délivrance par les États-Unis de 20 000 visas par an et le rapatriement à Cuba des immigrants illégaux interceptés en mer.
La combinaison de cet accord et d’une loi US de 1966 favorable aux réfugiés cubains a débouché sur la politique connue sous le nom de «pied sec, pied mouillé», selon laquelle les autorités étasuniennes acceptaient les immigrants qui touchaient terre et renvoyaient à Cuba ceux récupérés en mer. BPZ/ATS

Publié dans Actuel, Cuba, International

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